LA BELLE échappée
Après près de deux mois passés dans la chaleur du Rio Dulce il était temps pour toute la famille de reprendre la vie de nomades et d'aller voir du pays.
Les premières semaines au Rio furent riches en découverte, les suivantes nous ont permis de consolider nos acquis. Les petites échoppes de Rio Dulce n'ont plus de secrets pour nous: soudeurs, couturiers, vendeurs de tissus, de cadenas ou de fruits, ça y est, nous avons nos repères et nous sentons chez nous.
Comme tout chez soi, on a le temps d'en découvrir les limites et le risque de la routine qui guette. L'école qui nous plaisait tant au départ devient malheureusement une source de souci: après avoir découvert que la maitresse des petits laissait Eden sortir de la classe toute la matinée pour aller jouer à cache-cache dans les bois avec son petit acolyte de bêtises, puis vu Coline rentrer seule par deux fois à la marina avant midi parce que sa maitresse avait décidé de finir les cours plus tôt que prévu et renvoyé chacun chez soi, voire nous attendre au bord de la route principale à la merci du premier kidnapper venu, nous avons du, bien à regret, retirer tour à tour la petite puis la grande de l'école.
Mais le résultat escompté est quand même au rendez-vous: elles savent se commander toutes seules et sans autorisation "una hamburguesa con papas friras, por favor !", demander un dessin animé ou des bonbons à la serveuse du restaurant de la marina, Coline a identifié pas loin de 3 amoureux dans sa classe et tous les petits du quartier scandent leurs prénoms quand on déambule dans les environs, l'intégration a donc bien fonctionné!
Notre dinghy lui aussi demande du repos et nous envoie maints avertissements sur son état de fatigue. Eric le répare pas moins d'un jour sur deux, décollant et recollant les soudures au bout du rouleau, en ajoutant de nouveaux patches tel un Picaso du PVC en fin de vie. Les différentes colles et types de composants n'ont plus de secrets pour lui mais il a beau regarder les notices, pas une formule magique à l'horizon, petit Suricat est bien à l'aube de sa mort, il va falloir s'y résigner et arrêter de nier l'évidence.
Partir du Rio ne ressuscitera pas notre dinghy mais va nous offrir pour quelques jours fraîcheur et nouveauté dont nous avons grandement besoin.
Aucun guide en poche, mais confiants dans les informations glanées auprès de nos compères navigateurs, nous embarquons dans le bus de la Litegua, direction Antigua, ou plutôt "la Antigua Guatemala" puisque cette magnifique ville était jadis la capitale du pays.
J'ai des flashs du visage en sueur de Yves Montant au volant de son camion du "salaire de la peur" quand notre conducteur aborde chaque virage à toute berzingue, s'acharne à doubler des véhicules plus rapides que lui de préférence en courbe et en côte, tout ça en racontant au téléphone la plus longue et sans doute la plus urgente histoire du monde à son interlocuteur pendant les 7 heures que durera le trajet.
"Le pire n'est jamais décevant" nous disait Fabrice Luchini, et nous aurions pu goûter à pire et ne pas être déçus du voyage en empruntant pour moitié prix les mini bus, ou "colectivos" locaux; entassés comme du bétail dans une boite à sardine, ou encore le mondialement connu "chicken bus" aux innombrables couleurs dont les miniatures en bois ornent les étagères de tout bon globe trotter, coincés entre un cage à poule et une jupe volumineuse de guatémaltèque dont le stoïcisme nous servirait bien de leçon. Mais, l'excuse de la présence des enfants aidant, nous nous autorisons pour 12 euros par tête le confort du bolide vert de la Litegua.
Nos sueurs froides sont sans doute dues aussi à un récent "fait divers" d'accident de bus aux alentours d'Antigua qui a fait 49 morts la semaine précédente, les bus étant réputés pour durer jusqu'à ce que mort s'en suive, soit du bus, soit de ses passagers.
Une fois n'est pas coutume, ce coup-ci nous collons parfaitement au calendrier des fêtes nationales, et pas des moindres ! Nous arrivons à la Antigua Guatemala pour le weekend de la fête de l'indépendance (15 septembre 1891 si je ne me trompe). Et quel meilleur endroit pour se fondre dans la foule en fête?
Antigua et ses rues pavées, ses vieilles églises survivant comme elles peuvent au passage du temps et des fréquents tremblements de terre, ses centaines de patios méditerranéens cachant des merveilles de petits restaurants, école d'espagnol ou centre artisanal. C'est un régal de se perdre dans les dédales de rues et ruelles, plus sûres que n'importe quelle salle de coffre de banque suisse.
Pendant deux jours nous voyons défiler, sous un soleil de plomb comme sous une pluie battante, un flot ininterrompu de majorettes et joueurs de grosse caisse, de danseurs, de masques de diable, de femmes en habits traditionnel, de toutes les écoles et universités de la ville et des environs, petits et grands, des premières heures du jour jusque tard dans la nuit. On peut leur reconnaître cela, les Guatamaltèques savent faire la fête et commémorer le jour de la liberté!
Nous sommes aussi bien inspirés d'avoir trouvé un sympathique Guest House, un brin excentré mais toujours à portée de jambes, mêmes les plus courtes, pour passer ce weekend festif tout en dormant tranquillement la nuit (voir Infos pratiques Logements).
Apres trois jours de trompette et de souliers usés par les pavés de la touristique Antigua, nous prenons la route du lac Atitlan, mythique et mystérieux, dont on nous a vanté l'ambiance zen et la majesté des paysages.
Cette fois ce n'est plus le salaire de la peur, c'est carrément digne d'un reportage d'Ushuaia sur la route de la mort. Une fois sortis des belles autoroutes, le chemin de nids de poule que nous empruntons pour descendre vers le lac est une succession d'à pic et de virages en tête d'épingle. Quelques regards par la fenêtre du minibus pour distraire nos esprits en découvrant la beauté du lac et des volcans qui le surplombent, mais l'odeur des plaquettes de freins qui chauffent dangereusement nous entête bien malgré nous.
Eric trouve le moment approprié pour m'expliquer le phénomène de glaçage des plaquettes lors d'une trop grande sollicitation, qui les rend d'un instant à l'autre totalement inopérantes. Je repense aux expériences similaires de mes voyage de jeunesse en sac à dos pour tenter de retrouver mon innocence perdue, mais ne me reviennent que les souvenirs de la véritable route de la mort en Bolivie que j'avais descendue à vélo pour éviter de prendre part aux chutes hebdomadaires de bus dans le précipice ( qui ont donné son nom à la route…). Bref, je ne suis rassurée que lorsque nous nous arrêtons enfin au coeur du petit village de San Marcos quelques 3 heures après.
Nous avons choisi un peu par hasard ce village plutôt que celui de San Pedro sur la rive opposée, ou la ville de Panajachel de l'autre côté du lac. Notre intuition a été la bonne. San Marcos est minuscule, très tranquille, peuplée, en dehors des autochtones, d'européens ou américains à la recherche de tranquillité, d'ambiance propice à la méditation, de zen qui peut friser parfois l'illumination, et tout ce petit monde se mélange le plus naturellement du monde. Il semble que le yoga ait établit ses pénates ici depuis de nombreuses années, les hippies en tous genres y ont trouvé un fief au point que l'on a parfois du mal à se sentir au Guatemala dans ce recoin du lac.
Mais il suffit de marcher quelques kilomètres pour se retrouver de nouveau au coeur de la culture locale, par exemple en longeant le lac vers le petit bourg de Tzunuma où l'on retrouve des images de cochons côtoyant tout naturellement les footballeurs du dimanche, les gamins rivalisant d'ingéniosité dans l'élaboration des cerf-volants en alliage de sacs poubelle, les bambins dévalant les à-pics où l'être humain a voulu prendre sa revanche sur la nature abrupte et planté malgré tout des champs de maïs improbables, les femmes à la rivière frottant les vêtements à s'en déchirer les paumes pendant que les gars jouent aux billes (ah… comme l'on pourrait parler des heures du labeur des femmes! mais mon père a crié haut et fort sur mon faire part de naissance que "le MLF ne passerait pas", je laisse donc de côté pour l' instant mes revendications chienne de gardienne).
Ouf! nous sommes bien au Guatemala, entre les rues bondées de touristes en short d'Antigua, les backpackers des minibus et les hurluberlus qui peuplent le lac Atitlan, on en aurait presque oublié où nous sommes!
Le monde du voyage en bateau est décidément un microcosme car à peine descendu du colectivo de la mort à San Marcos, nous tombons sur notre copain Josh, notre héros de Islas Mujeres qui avait sauvé Suricat de l'échouage, et son acolyte Joe, de forts sympathiques australiens, jeunes et sains, qui sont venus s'offrir une semaine de méditation au bord du lac.
Nous pouvons attester que la méditation porte ses fruits car c'est tout sourire qu'ils nous racontent qu'ils se sont fait dépouiller la veille de tous leurs biens (y compris le déodorant!) dans leur chambre située juste au dessus de la salle où ils méditaient tranquillement, devenus tellement zens qu'ils en oublièrent, erreur de débutants, de fermer la porte à clef. Il n'y pas de surprise, dans un pays où un Iphone représente des années de salaire, on ne peut jeter la pierre à celui qui se sert au passage… Ils auraient aimé avoir une histoire de braquage au coupe coupe en haut du volcan à raconter mais non, dépouillés pendant une session de méditation, ça manque de panache mais ça a l'avantage de nous faire tous bien rigoler.
Cela dit cette petite histoire nous conforte dans notre choix d'avoir laissé au bateau l'appareil photo semi-professionnel d'Eric et les optiques qui vont avec, ce qui explique la triste pénurie d'images pour accompagner ce texte et nous console un peu de n'avoir pour tout support que quelques rares photos prises au Iphone, notre lecteur nous en excusera…
C'est avec un réel plaisir que nous partageons quelques jours au lac avec nos amis Joe et Michelle de Peregrine qui ont passé un mois à Antigua dans une famille pour apprendre l'espagnol, dépensant la somme exorbitante de 250 dollars pour être logé, nourris, blanchis et étudier 4 heures par jour en cours particulier… Le Guatemala est vraiment un autre monde… le salaire moyen quotidien oscille entre 5 et 12 euros.
On peut largement nourrir la famille au restaurant pour moins de 10 euros. Les prix sont toujours négociables, une fois que l'on connait le coût de la vie et le niveau des salaires moyens, on peut, si on le souhaite, obtenir des réductions jusqu'à 70% du prix initialement annoncé.
Mon aversion pour les inégalités de ce monde me pousse souvent à vouloir payer le prix demandé sans broncher, mais le jeu de la négociation fait aussi partie du pays et du voyage, et nos impératifs de caisse de bord me motivent pour entrer en palabres et j'obtiens la plupart du temps des prix si dérisoires qu'ils en deviendraient presque indécents…
Cette quête incessante du moindre coût arrose parfois l'arroseur… la maxime "you get what you pay" n'est jamais contredite. A San Pedro, village encore bien différent de San Marcos, plus animé, plus peuplé, plus "attrape touriste" aussi, nous nous offrons une excursion à cheval en prenant soin de visiter toutes les "agences de voyage" qui pullulent près du débarcadère.
Nous en trouvons une avec laquelle nous négocions moitié prix l'heure de cheval, imaginant faire subir à ces pauvres bêtes le poids d'un adulte et un enfant pour économiser trois clopinettes et ne pas laisser les filles chevaucher seules un cannasson.
Mais il n'y a guère de miracle, à 3 euros l'heure de cheval et deux chevaux pour 4, c'est à dos de grands chiens malades et claudiquant que nous ferons clopin-clopant notre tour réduit à son minimum. Après que son cheval ait trébuché 3 fois manquant de le mettre Eden et lui à terre, Eric abdique et descend de sa misérable monture.
Il finira l'heure et demie restante à pied, trainant le cheval derrière lui plus que le guidant, notre pitoyable cortège se faisant dépasser par la moindre mamie guatémaltèque centenaire et aveugle. Le plaisir est tout de même intacte car malgré les fessiers meurtris par les selle en bois, les filles sont aux anges, nous rions tout le long du trajet et cette balade à dos de "cabaaaallo!" restera dans notre boite à souvenirs de voyage!
Nous passons une semaine à nous promener dans les petits villages du lac, à monter dans des lanchas (bateau taxi locaux) bondées en priant une fois de plus la bonne étoile des transports en commun hasardeux durant ces trajets où nous embarquons environ dix personnes de plus que le poids maximal autorisé, marchant sur les petits chemins en terre ou louant les services d'un touc-touc bravant caillasse, flaques et nids de poule.
Le bord du lac offre un spectacle parfois désolant de mondes engloutis: les récents tremblement de terre auraient provoqué l'encombrement des passages sous-marins par lesquels l'eau du lac s'écoulait et en quelques années à peine, le niveau de l'eau est monté de plus de 4 mètres, réduisant à néant les installations des anciens bienheureux qui avaient les pieds dans l'eau, condamnant les ouvriers à faire et refaire les pontons qui jalonnent le lac et accueillent le bal ininterrompu des lanchas.
La nature est toujours plus forte que l'homme et le lac en donne une illustration parfaite… chaque année, le niveau de l'eau montant oblige la refonte et l'extension des pontons de bois qui bordent de lac...
Bien que loin du Rio et de la communauté de bateau, nous rencontrons tout un tas de gens atypiques au cours d'un apéritif organisé par le gérant de notre résidence (voir infos pratiques; logement au lac Atitlan).
Des allemands en voyage en 4x4, la tente sur le toit, qui descendent le continent américain depuis plus d'un an, ayant tout quitté dans leur pays d'origine, des hollandais branchés "life coaching" qui ont tellement aimé le lac qu'ils viennent d'y acheter un terrain, des canadiens écrivains venus chercher calme et inspiration au lac, un français ancien baroudeur, lui aussi installé au lac pour écrire et fabriquer des bijoux qu'il vend au Mexique…
A nouveau quelle multitude de vies et de parcours, tous plus intéressants et étonnants les uns que les autres. Et tout ce petit monde lui-même intrigué voir passionné par notre propre aventure, nous permettant de nous rappeler l'extraordinaire tranche de vie que nous nous offrons et dont nous avions un peu oublié la beauté ces dernières semaines.
Nous sommes heureux de confronter notre vision du monde et de la vie à celle des voyageurs "terrestres" et nous rendons à l'évidence que voyage en bateau ou en voiture, nous partageons tous les mêmes fondamentaux et les mêmes valeurs. Recherche de la rencontre de l'autre, de l'imprévu, de moments riches en intensité, vivre l'instant présent et profiter de la richesse du monde et de l'immensité des possibles.
En trois semaines nous avons rencontrés pas loin de trois couples qui voyagent en voiture, la tente sur le toit. Un couple de jeunes belges affublés de leur Coccinelle et déjà connus de tous dans le coin du Rio, ayant parcouru l'Australie puis le continent Américains dans leur toute petite voiture de collection (http://www.tripntale.com/me/gallierontour). Le couple d'Allemands rencontrés au lac suivant plus ou moins le même périple et enfin des Britanniques parcourant les routes du monde entier depuis des années dans leur Land Rover de compétition (www.lizzybus.com).
Ces trois épopées commencent à faire germer des idées de prochain voyage… Suricat retrouvera-t-il un jour sa nature terrestre pour sillonner les routes après avoir parcouru les océans ? Nous n'en sommes pas encore là mais tous les beaux projets sont toujours issus de rêves et de rencontres !
Infos pratiques:
Logements à Antigua
Nous avons donc séjourné dans le Guest House de Taanah, très bon rapport qualité prix et excellent accueil par Fernando et Evelyn. Idéal en famille car les filles ont beau être petites, on se doit tout de même de leur offrir un lit, et la présence d'une cuisine permet de ne pas avoir à ressortir le soir pour dîner et le petit-dej du matin est à tomber à la renverse! Pour 300 Q la nuit (moins de 30 euros), chambre double avec salle de bain privée et petit déjeuner!
Mieux vaut les contacter en direct plutôt que par le Tour Operator qui ponctionne forcement sa commission.
Taanah: Adresse Flores del Manchén #7, 03001-Antigua, Sacatepequez, Guatemala
tel: +502 3024 2634
mail:
Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.
Logement au lac Atitlan
Un charmant voisin de chambre chez Taanah nous a conseillé de loger dans la résidence de Pasaj Cap tenue par Pierre, un français installé à San Marcos depuis quelques années. Pour 250 dollars la semaine nous nous sommes régalés du confort d'un loft tout équipé, vue imprenable sur le lac et les volcans, salle de bain (avec baignoire!!!!) toute vitrée qui permet de chanter sous la couche en admirant le lac, cuisine idéale pour faire comme chez soi et même ménage fait tous les deux jours, le luxe suprême… Pierre est très accueillant et a gentiment convié tous les hôtes à un apéro à son domicile qui nous a donc permis de faire de belles rencontres. La résidence possède un dock privé d'où l'on peut héler les lanchas qui passent toutes les 20 minutes en direction de Panajachel ou de San Pedro et l'on peut se rendre à pied à San Marcos en moins de 15 minutes. Idéal pour rester une semaine, un mois ou même plus et se sentir chez soi.
http://www.pasajcap.com/
Tél: (502) 7723 4055 Tél: (502) 5426 0731
Transport en bus
Depuis le Rio, on achète ses billets directement au bureau de la Litegua. 125 Q par place (enfant de moins de 6 ans gratuits) pour rejoindre Antigua. Depuis Antigua on trouve facilement des petits minibus pour rejoindre le lac Atitlan pour environ 80Q par personne. On peut aussi choisir le chicken bus pour plus de saveur locale mais le voyage sera plus long et plus "roots".
Pour le retour, nous n'avons pas voulu nous faire avoir par les "agences de voyage" d'Antigua qui proposent des billets pour le Rio avec une large commission. Nous avons donc demandé à droite à gauche et finit par trouver le bureau de la Litegua à Antigua. Une charmante hôtesse nous y a vendu des billets pour encore moins cher qu' à aller, 115Q par personne au lieu des 190Q que nous proposaient les agences de voyage! ça valait quand même le coup de marcher quelques temps dans les rues à la recherche de la source et découvrir par là même une partie encore méconnue de la ville!
Bureau de la Litegua : 4a cale Oriente, numéro 48 (juste après les deux stations services à la sortie est de la ville)
tel: +502 78 32 98 50