Vinales : Suricats des villes et Suricats des champs !
Nous avons fini par opter pour la location d'une Kia pour visiter la région de Vinales / Pinar del Rio dont on nous avait vanté à raison les merveilles, non sans avoir patiemment et obstinément cherché à obtenir des billets en peso national pour monter dans le bus local, mais sans succès. Petit aparté relatif à mon précédent article sur les deux systèmes qui cohabitent sans presque jamais se rencontrer, celui des touristes et celui des locaux: lorsque je me rend au Terminal de bus de la Havane pour tenter d'acheter à prix modique notre ticket pour le campo, on me répond très clairement que je suis touriste et donc de ce fait, le bus qui me correspond est celui de Viazul, 15 CUC le trajet par personne y compris les enfants (information erronée car plus tard on me dira 12 par adulte, enfants gratuits…). A ce prix là, autant louer une voiture et être indépendants, mais nous nous obstinons. A force de discutailles, j'apprends qu'il y a un autre bus, tout aussi honorable semble-t-il, Arco, qui dessert également Vinales, mais pour pouvoir y monter je dois prouver ma résidence cubaine. Le trajet dans ce cas ne doit pas couter plus cher qu'1 CUC… J'essaie bien de tendre la perche à quelques cubains rencontrés à la gare de bus pour qu'ils achètent les billets pour nous mais nous finissons, une fois n'est pas coutume, par abdiquer. En une autre époque; sans les enfants, nous aurions goûté à cette aventure et patienté les heures nécessaires. Dans notre situation actuelle, et malgré notre politique d'austérité budgétaire, VInales semble en valoir l'investissement, nous louerons donc une petite Kia climatisée pour 3 jours minimum, 55 CUC par jour assurance incluse.
Un dicton moyen-oriental dit à peu près : "Mon grand-père allait à dos de chameau; mon père conduisait une voiture, je prends l'avion et mon petit-fils ira à dos de chameau"… Cette citation que j'emprunte à ma bible du moment (La troisième Révolution industrielle de Jeremy Rifkin, à lire absolument!) me revient en mémoire sur l'autoroute qui nous conduit de La Havane à Pinar del Rio puis la région agricole de Vinales.
Dans notre Kia qui semble parachutée d'une autre planète et nous fait repérer à des kilomètres à la ronde et identifier en tant que "touriste CUC", à chaque kilomètre parcouru nous avons la sensation de remonter le temps… Nous croisons une fois un 4x4 digne des mastodontes monnaie courante à Tahiti, qui doit fatalement abriter un diplomate ou un haut perché, mais pour le reste ce sera quelques Ladas issues de l'époque du soutien Soviétique à l'île et qui résistent tant bien que mal au passage des ans depuis que l'Empire de l'Est s'est effondré et ne perfuse plus Cuba. Puis viennent les incontournables Buick et Chevrolets aux couleurs aussi improbables que leur âge et le fonctionnement de leurs 6 cylindres en ligne essence / carburateur, vieux vestiges de l'époque Américaine et qui, outre le plaisir des yeux et des photos de voyage, ont le mérite de transporter chacune une bonne douzaine de personnes pour les plus chanceux qui se déplacent en voiture / taxi collectif pour un peu plus de pesos national que le bus (ou en side-car, jamais croisé autant !).
A mesure que le paysage verdit, ce sont charrettes, charrues et hommes à cheval qui prédominent, même sur l'autoroute étonnamment entretenue qui relie la capitale à la région occidentale de l'île. Cela dit, foulée plus souvent par les sabots des boeufs et des chevaux que par les pneus de voiture, pas très étonnant que la route reste en parfait état ! jusqu'au bus remplacés par des charrues collectives...
Arrivés sur les chemins en terre de Vinales, nous serons les seuls énergumènes en voiture coréenne et ne croiserons plus que chevaux et hommes à pied.
Les heures que nous passons à rouler au pas dans la vallée magique, aux milles collines et vallons, sont comme un bond dans une époque jamais connue, celle où la terre se cultive avec deux boeufs ou à la main, celle où l'on ne trouve presque pas trace de l'homme, aucune route ni même chemin carrossable hormis la route principale et la fameuse "autopista" et aucune exploitation excessive de la nature, et tout cela à moins d'une journée de navigation du territoire américain, symbole suprême de tout l'opposé…
Cette région où, bien nous en a pris de louer une voiture, nous roulons des heures entières sans jamais nous lasser du paysage, des visages, des scènes de vie observées, valait vraiment l'attente et la découverte. Des couleurs et des lumières à couper le souffle, surtout après la semaine de dépression tropicale qui a reverdit les prés, des fruits partout et étonnamment presque jamais rien à acheter…
De ce que nous en avons compris en discutant avec les campesinos d'une plantation de tabac, certaines plantations sont privées, mais les paysans sont obligés de semer et récolter et donner 90% de la récolte à l'état, n'ayant droit de conserver que 10% pour eux dont ils peuvent disposer. Comme à la Havane où "c'est ouvert mais c'est fermé", ici, "c'est privé mais c'est à l'Etat"…
On voit sur les chemins des bananiers, des manguiers, du maïs, des champs d'ananas à perte de vue… mais on n'arrivera à acheter qu'une dizaine de misérables bananes et 3 ananas miraculeusement trouvés sur un bord de route. Et quand, suivant ma logique capitaliste, je demande aux gens où je peux trouver un marché ou un producteur de fruits pour m'approvisionner, on me regarde éberlué comme si posais une question des plus absurdes.
Seul hic à Vinales, le petit village reste touristique pour ses quelques attractions locales (grottes à stalactites et mur de la "préhistoire"), et là bas bien plus qu'à la Havane, nous sentons un certain mépris et une désagréable habitude à nous traiter comme des imbéciles de touristes que nous sommes. A un petit vieux qui vend dans la rue les seules bananes que je trouve à acheter, je demande le prix et il m'annonce 5 pesos la banane, ce qui fait que le petit tas de 10 bananes naines me revient grosso modo à 2 euros (ce que l'on payait à Tahiti !), mais surtout 5 fois le prix normal constaté à la Havane. Je lui dis que "no puede set"(c'est impossible!), à la Havane à 150 km de là, je les achetais à 1 pesos la banane. Il me répond alors droit dans ses bottes que ses bananes viennent de la Havane ; c'est pour ça qu'elles sont plus chères. Je lui rétorque une fois de plus que "no puede ser", les bananiers croulent sous les régimes tout autour de nous dans cette région la plus agricole de tout Cuba! Il finira par me les vendre au prix normal non sans une certaine animosité.
Si nous comprenons les tentatives de certains de profiter de la crédulité et du pouvoir d'achat des touristes, nous les regrettons tout de même, tout comme beaucoup de cubains que nous rencontrons et avec qui nous abordons le sujet, car cela nuit à la relation que nous aimerions établir. Mais touristes nous sommes; touristes nous resterons ! après tout le CUC a été mis en place pour nous ! nous devrions même pas avoir accès au pesos national !
Vinales vaut définitivement le déplacement, et sans conteste en voiture privée pour jouir de la zone en toute liberté.
En quinze jours à Cuba je suis devenue la reine de la tchatch. Moi qui vouais une sainte horreur à la négociation ou aux discutailles pour économiser trois sous, je me révèle jour après jour passer maître en la matière. J'arrive même encore, oh privilège suprême ! à surprendre mon mari après 8 ans de vie commune. Capable de donner 10 CUC à une femme enceinte dans la rue qui me demande de l'aide pour acheter du lait, j'excèle dans le paradoxe en arrivant à nous faire entrer gratuitement dans le grand "complexe" de Las Terrazas, à environ 30 km sur le chemin du retour à la Havane.
C'est une sorte d'immense parc / réserve où vit une communauté d'environ 1000 habitants. On y trouve de très jolis lacs au pied de la montagne et au fond de la vallée rivière et cascades sobrement mais proprement aménagées. Stop aussi inattendu qu'agréable pour finir notre séjour terrestre. L'entrée de la zone est payante de 2 CUC par personne. Il me reste 10 CUC pour finir la journée, manger le midi et remettre de l'essence pour arriver à la Havane… impossible donc de payer.
Alors je pars sûre de moi et entrainée à toute épreuve, j'use et j'abuse d'une de mes armes d'argumentation massive, la volonté de faire plaisir et de nourrir mes petites têtes blondes qui se chamaillent joyeusement sur le siège arrière, et cela fonctionne. Non seulement je ne paie pas l'entrée, mais plus tard je ne paierai pas non plus le parking et le garde (enfin, un des 3 gardes dans la guérite, un qui garde, les autres qui regardent) qui me demande mes tickets d'entrée à l'arrivée aux cascades succombera lui aussi à mon argumentaire, qui, pour une fois il faut le préciser, était véridique, nous n'avions plus un radis pour finir la journée sans risquer la panne sèche!
Je garde en tête ce que beaucoup m'auront dit pendant le voyage "en Cuba, todo se négocia". Parfois on peut réussir à payer moins cher que le prix annoncé; et souvent même, à ne pas payer du tout !
Notre épisode cubain prend fin sur une autre phrase qui résonne à mes oreilles "en Cuba, nada se pierde" (à Cuba, rien ne e perd). Sans en croire nos yeux, la veille de notre départ, une voiture s'arrête à côté du bateau et nous en voyons descendre un homme qui tient dans sa main notre amarre bleue toute neuve dont nous avions fait le deuil à Varadero… J'avais oeuvré à sa récupération certes, envoyant des mails depuis la capitainerie qui n'arrivèrent jamais à la marina Gaviota, passant des coups de fils à 5 CUC les 2 minutes de communication pour demander à la marina de le récupèrer dans l'eau et nous le faire parvenir, discutant avec les dock masters successifs, concernés par mon problème comme s'il s'agissait d'une affaire d'état. J'ai cru comprendre que le chef des dock masters avait lui même appelé à Varadero pour réclamer mon amarre une semaine avant mais il nous a semblé presque miraculeux de la revoir, la veille de notre départ, toute propre et intacte.
Nous rêverions de prolonger notre séjour après la Havane qui nous a tant plu et où nous aurions pu retourner des dizaines de fois sans jamais nous lasser, et le campo qui nous a transporté dans des paysages et des scènes de vie inimaginables. Mais il est tard déjà dans la saison, le cyclone Andrea qui a frôlé Cuba et nous a cloué 10 jours à la marina nous l'a gentiment mais fermement rappelé, et une fenêtre météo s'offre à nous pour rejoindre la pointe ouest du Cabo San Antonio sous une mer calme et ensuite nous l'espérons; la traversée du Canal du Yucatan dans des conditions supportables.
Nous abrégeons donc notre séjour cubain bien à regret, prochaine destination, le Mexique!
Infos pratiques à Vinales:
- Sur la route pour Vinales, très bon petit restaurant pas cher en monnaie nationale, on y a déjeuné pour 250 pesos nationales pour la famille avec belle vue et que des cubains: au début de l'autoroute; juste après le passage sous le point de Coimita, traverser l'autoroute (et oui; à cuba; on peut traverser l'autoroute, les traces de pneu sur le terre plein centrale en atteste) et prendre le petit chemin de terre qui monte sur la colline à gauche. Pancarte Paladar Restaurante Don David.
- Où dormir: Casa Terry, nous avons négocié la chambre (3 lits et air conditionné) pour 20 CUC la nuit incluant le petit déjeuner.
- Petit tour à cheval dans le campo, vraiment incontournable pour se sentir rentrer dans la terre. Cher mais vaut la peine, nous nous sommes limités à 1 heure de tour, 5 CUC par cheval !
- Visite de plantation / grange de séchage de tabac à côté de PInar del Rio: loin de la fabrique (5CUC par tête pour l'entrée et pas le droit de prendre des photos), on nous a indiqué en ville une petite coopérative à la sortie de PInar del Rio. Totalement improbable à trouver, nous avons finalement réussi: en sortant de Pinar del Rio, on passe sous deux grands ponts sur l'autoroute. Le 3eme pont est petit et on passe au dessus de la rivière. Juste après sur la gauche (traverser encore une fois l'autoroute!) il y a un chemin de terre, il faut le prendre et aller jusqu'au bout. Coopérative "privée" où on peut acheter les cigares de marque 45% moins cher qu'à la fabrique en ville, c'est les fameux 10% que les paysans ont le droit de garder pour vente personnelle. On y boit un bon café et José raconte la récolte des feuilles de tabac avec une passion et un enthousiasme exceptionnel. Bon arrêt loin des sentiers battus et sans touristes aucun car impossible à trouver!