LE CHANT DE LA SIRENE
Début avril marque notre arrivée à Black Point Settlement, qui n'a pas beaucoup d'intérêt mais regroupe un bon nombre de bateaux, sans doute pour son superbe lavomatic où l'on mangerait par terre, bien improbable dans ce bled perdu.
Tout le monde attend Black Point pour faire sa lessive, et moi de même. Mais je savoure ce moment où je suis tranquille avec Jim de Carsima et Catherine de Lahsa, face à la mer, à refaire le monde en regardant passer les raies devant le ponton du lavomatic, pendant que les enfants sont à la plage avec les papas. Qui m'aurait dit un jour qu'une matinée de lessive pourrait me combler autant !
Black Point marque aussi notre rencontre avec Panta Rhei (http://www.stockeronsea.blogspot.com), un magnifique monocoque en aluminium où la aussi on mangerait par terre, vaillamment barré depuis 2 ans par Marc et Céline accompagnés de leurs deux petits matelots, Lucas et Vadim.
J'étais mauvaise langue en disant qu'on ne rencontrait que des couples de retraités américains aux Bahamas. Voici notre troisième bateau copain et en prime, avec bambins!
Incroyable comme le contact s'établit vite, je les vois passer en annexe près du bateau et tente un "bonjour" en français me semblant les avoir entendu parler ma langue.
Ni une ni deux ils répondent et s'approchent, je les fais monter à bord, les enfants s'éclatent sur le trampoline et partagent notre gouter pendant que je discute avec leurs adorables parents.
Le soir même ils nous invitent à bord de Panta Rhei et nous découvrons leur périple et un petit bout de leur vie, glanons un tas d'info sur Cuba d'où ils arrivent et où nous comptons nous rendre.
Ils finissent bientôt leur tour de 2 ans et ont déjà des trémolos dans la voix à l'idée de la fin. Marc évoque même l'idée de se planquer dans nos cales pour continuer le voyage avec nous. Deux jours plus tard et avant les séparations, c'est à bord de Suricat que nous organisons un rassemblement général. Carisma+Lahsa+Panta Rhei + Suricat = 7 adultes et 8 enfants!! un joli record pour à peine 1,5 mois de voyage et nous adorons cette soirée de mélange américano-belgo-franco-canadien.
Le lendemain matin nos routes se séparent, bien tristement car nous aurions aimé les connaitre plus longtemps et partager encore de bons moments. Panta Rhei s'oriente vers le nord et les US alors que nous autres continuons vers le Sud.
48H à peine tous ensemble et au petit-dej sur la VHF, Lahsa et nous même leur disons adieu le coeur bien lourd.
Il est vrai que dans ce voyage, si nos passés diffèrent totalement, nos quotidiens, nos joies et nos tracas se ressemblent, nos valeurs se rejoignent, les caractères sont souvent proches et nous avons tous beaucoup à échanger et à apprendre les uns des autres (même si hormis deux trois recettes de cuisine, je n'ai pas encore l'impression d'avoir grand chose à apprendre à mes nouvelles copines bien plus expérimentées et aguerries que moi! mais ça viendra!).
Nous avons toutes été femmes actives et nous étonnons de notre capacité à passer tant d'heures en tâches ménagères et en continuant à trouver ça assez sympa, car ça fait partie intégrante du voyage.
Je n'avais pas imaginé les heures quotidiennes que je passerai à cuisiner, du pain du petit déjeuner en passant par le déjeuner, les gâteaux du gouter et les diners… du lundi au dimanche sans aucune interruption. Pour moi qui était peu familière des heures au fourneau, c'est presque une découverte.
Etonnamment je suis rarement écoeurée, même après une journée de navigation je retrouve la motivation pour faire une crème au chocolat pour le dessert (il faut bien varier!!) ou passer une après midi à faire des crêpes pour un gouter avec Carisma et Lahsa. Ce qui change avec la vie à terre, c'est l'étonnant goût des choses.
Nous avons tellement de plaisir à savourer une pizza le soir au coucher de soleil ou se retrouver tous ensemble autour des crêpes(avec du Nutella!! incroyable!! merci Lahsa!!!), c'est si magique d'avoir ça au milieu de rien que ça relance la machine à motivation. Cela dit, un conseil tout de même pour les futures "women who sail"… si vous n'aimez pas cuisiner, ou si votre conjoint n'est pas prêt à le faire en plus de l'entretien quotidien du bateau et des navigations, alors le trip pourrait tourner à l'esclavagisme à grand coup de cuillère en bois… méfiote!!
Pendant que je popote, Eric fait l'éducation maritime des filles. Comment s'envoler dans les airs attachées à la drisse de spi et sur la chaise qui sert à monter au mat, survoler le trampoline et l'eau claire et venir se réceptionner avec plus ou moins de légèreté sur le roof.
Qui du père ou des filles s'amuse le plus, difficile à dire, mais maintenant le doigt est mis dans l'engrenage et je crains qu'Eric doive à présent réinstaller régulièrement l'attirail du cirque sur Suricat. Les "youyou hou!!" de Coline valent tous les trésors du monde en cet instant précis.
Il s'emploi également à leur faire reconnaitre les modèles de bateaux voisins. Leur préféré, et de loin, est un petit catamaran à l'allure un peu lourdaude à mon goût, mais attention, son nom remporte la palme… le SPROUT! (réduit pour l'occasion à "prout" ! ce qui ne manque pas d'éveiller l'hillarité des filles…)
Partout à nous ancrons, quelle joie pour les filles de tomber sur un PROUT!! L'éducation est un terme assez large pour englober aussi cela, c'est toute la magie de l'apprentissage…
Coline maitrise d'ailleurs déjà de façon totalement déconcertante la conduite de l'annexe, aussi bien que le noeud de chaise qu'elle parvient à faire d'une seule main et dans l'urgence d'un appontage mal maîtrisé de ses parents…! Elle accepte donc avec fierté le poste de timonier qu'elle assume sans faille !
Avant d'atteindre Georges Town où nous ferons un bon stop de nettoyage, ravitaillement et récupération des parents d'Eric pour 15 jours de ballades bahaméennes, nous nous arrêtons tous à Rudder Cay Cut, juste après l'île de Musha Cay qui appartient elle aussi au fameux magicien David Copperfield.
Rudder Cay est un stop obligé pour nous car cet endroit est le théâtre d'une histoire magique pour les enfants.
Une histoire tissée au fil de nos mouillage et de nos découvertes : Un méchant magicien a jeté un sort à une sirène: il a mis un piano au fond de l'eau et à peine a-t-elle commencé à jouer quelques notes qu'elle a été transformée en pierre (enfin, en inox poli mais pour l'histoire, la pierre a plus de charme).
Un fort courant empêche de s'y arrêter assez longtemps pour la délivrer, même si Coline essaiera à plusieurs reprises de descendre la délivrer, prête à pousser ses petits tympans à la limite du supportable, bien décidée à sauver la sirène.
Un bref retour au monde pitoyablement terre à terre des adultes, mais l'information peut servir puisque nous la cherchions nous mêmes, les coordonnées GPS exacts de la sirène sont 23°52'163N / 76°14'157W.
A vrai dire c'est la deuxième sirène que nous voyons depuis le début du voyage… Lors d'un mouillage à Allen's Cay, nous avions aperçu, à la proue d'un bateau, une magnifique sirène qui balançait sa queue dorée, les cheveux blonds flottant dans le vent. Elle avait même fait un petit signe de la main à Coline et Eden, totalement sous le charme et crevant d'envie de la faire venir sur notre bateau. Une fois de plus les terre-à-terre sauront que notre sirène était une belle adolescente qui avait revêtit un magnifique costume et en apercevant les filles sur le bateau était venue s'installer sur l'avant de son bateau pour leur offrir un instant de magie (merci à elle). L'illusion était si parfaite que pour nous aussi ce fut assez magique.
Deux sirènes en 1,5 mois de voyage, là aussi, sacré record !! bien plus que de dauphins qui se font de plus en plus rare dans ces eaux...
En chemin (en face de Cove Cay) nous nous étions arrêté pour "marcher sur la mer". A marée basse une immense bande de sable rose a été posée là uniquement pour que je puisse continuer à alimenter ma photothèque de pauses yogas et pour le plus grand bonheur des filles qui font la course aux "dollar sand" avec leur père.
Le mouillage de Rudder Cay est splendide, mais les plages sont toutes privées et interdites d'accès alors il est temps pour nous de lever l'ancre.
Manque de bol, les conditions sont établies Est-Sud Est à 25 noeuds et 2 mètres de houle côté océan, ce qui signifie rejoindre Georges Town face au vent au moteur dans des conditions que nous ne voulons pas avoir à subir ni à faire subir aux enfants. Carisma part en premier dès 7h00 et qualifie lui-même à la VHF l'expérience dehors de "bumpy ride". Dans la bouche de notre héros américain navigateur au long cours, ça veut dire pour nous "sauve qui peut". Même Lahsa qui semble adorer la mer et la navigation en toutes conditions passe un mauvais moment pour faire les 40 miles qui nous séparent de Georges Town.
Alors au moment du départ, nous changeons totalement nos plans, abandonnons nos amis, et je suis soulagée d'entendre Eric me dire "on tente la descente par l'intérieur dans le bank !"; ça risque d'être un peu juste, mais on peut se poser sur le sable sans risque de dommage pour notre catamaran si la marée ne nous permet pas de progresser dans le méandre de bancs de sable plus ou moins indiqués avec précision sur les différentes cartes dont nous avons en notre possession; certains passages sont indiqués à 1,2 voir même 1,1m !! ca ne passera sûrement pas avec nos 1,45 de tirant d'eau !! mais notre petite expérience de navigation dans les Bahamas nous a démontrer que les cartes sont souvent pessimistes et nous sommes toujours passés (ou presque) quelques soient le profondeurs annoncées.
Grâce à la marée haute qui coincide avec notre départ matinal, nous voguons de point GPS en point GPS suivant aveuglément les indications de l'Explorer Chart qui nous sauve tripes et boyaux. Nous rencontrons 1,8 à 2 mètres de fond quasiment tout le long des 13 miles que nous parcourons ce matin là, évitant de-ci de-là des bandes de sable qui n'échappent pas à nos lunettes palorisées, vive la technologie.
Sur le chemin nous apercevons un mat de bateau caché derrière une petite île. Drôle de mouillage se dit-on et drôle de bateau, d'autant qu'il y a un unique passage étroit entre l'île et un gros rocher et le bateau semble s'être mis là. En passant à sa hauteur nous comprenons mieux la donne… il y a bien un mât, mais le mât uniquement dépasse de la surface de l'eau. le bateau auquel il appartient git par quelques mètres de profondeur de long de la caillasse. Par chance il n'est pas totalement au milieu de l'étroit passage et nous traversons sans encombre, mais une sensation désagréable nous poursuit quelques heures. Apparemment c'est pareil pour tout le monde, mais croiser une fraîche épaves de bateau rend toujours inconfortable, une certaine projection inévitable de se dire que cela pourrait être nous… L'épave n'est pas indiquée sur les cartes, elle doit être fort récente!
Par moments de l'autre côté des cailloux nous apercevons Lahsa qui tangue dehors et soufflons de soulagement. Nous naviguons à vue, un oeil sur les couleurs du bank, l'autre sur le sondeur et les deux autres sur les cartes de l'Explorer Chart (définitivement incontournable pour faire les Exumas) et sur le chartplotter qui nous confirme notre position. Une fois de plus les cartes informatiques nous auraient induits en erreur, et dans ce cas précis, n'indiquaient même pas de route à l'intérieur.
Omnubilés par le mouillage de Rat Cay à mi-chemin dans la descente vers Georges Town, nous décidons de mettre l'ancre là, juste intrigués par le terme "surge" sur l'Explorer Chart…
Une bonne heure après notre arrivée, nous progressons malgré nous en anglais… le terme français exact importe peu, mais la périphrase suffira: "surge" c'est quand l'eau du large rentre et crée des vagues à l'intérieur presque aussi fortes que dehors!! et qui plus est… de côté. Nous voila donc ancrés face au vent avec une bonne houle de travers formée par 20 noeuds de vent… l'enfer!
Eric se met en tête de tester le système d'ancre double. Déformation atavique pour moi, je commence par dire "non". S'ensuivent quelques échanges de noms d'oiseau qui ornent ponctuellement nos aventures maritimes, puis je me range à son avis.
Nous allons tenter le coup, il sera de toutes façons impossible de rester là des heures à se faire chahuter de la sorte. Il nous faut pas moins de deux heures pour sortir notre deuxième ancre et chaine, mettre le dinghy à l'eau (enfin, dans la machine à laver), mettre le moteur sur le dinghy, écarter la deuxième ancre, mettre le bateau face aux vagues… Totalement inexpérimentés du fait, nous apprenons sur le tas comment faire, ce qui nous est couteux en temps et en énergie mais servira bien pour une autre fois. Le cheminement d'un câblot improviser qui passe sur le taquet arrière coincide parfaitement avec un winch ! on va pouvoir utiliser un des winchs pour tirer sur l'ancre secondaire que l'on a placé sur l'arrière de Suricat afin de le positionner de travers au vent, mais face à la houle.
Nous réussissons notre coup, le bateau est face aux vagues et ne bouge presque plus… bonheur et soulagement…
De courte durée car à peine 10 minutes plus tard, nous tangons à nouveau. L'ancre arrière a dérapé et nous revoilà face au vent… il faudrait tout recommencer…
Alors un éclair d'espoir fuse à travers le cerveau d'Eric qui jette un oeil à la carte. A moins de 15 minutes de là, nous avons passé sur le chemin la petite ile de Children Bay Cay qui offre un mouillage parfaitement abrité du vent et de la houle extérieure…
Nous oscillons entre sentiment de ridicule profond et soulagement infini. Le ridicule ne tue pas et seuls les imbéciles ne changent pas d'avis alors il a beau faire bientôt nuit, nous levons l'ancre et revenons sur nos pas pour nous installer bien douillettement dans ce merveilleux mouillage abrité. L'Explorer Chart a beau indiquer 1,2 mètres, nous trouvons notre place devant la plage à 1,8m et ne touchons même pas à marrée basse. Mon oncle m'avait pourtant bien dit que cette île devait être l'île de Peter Pan et des enfants perdus, j'aurais du y prêter attention et la repérer à l'avance !
Nous n'avons pas vu Peter Pan mais nous avons dormi comme des enfants !
Bien nous a pris d'attendre une journée de plus que nos amis et suivre le fameux adage de Allan que Eric avait rencontré dans le froid du nord des Etats-Unis :"always let your friends go and wait one day more". Ce coup-ci lui donne raison car le lendemain le vent est tombé à 15 noeuds, la houle est beaucoup plus calme, nous poussons par l'intérieur jusqu'au maximum atteignable (Soldier Cay Cut) et n'avons plus que 10 miles à faire dehors pour rejoindre Georges Town en tirant quelques bords, qui s'avèrent même être des plus agréables. Nous appréhendions cette descente et finalement, le plus éprouvant de ces 48 heures aura été le mouillage raté…
Nous retrouvons nos amis à Georges Town, au milieu des centaines de bateaux. Moins fun et désertique aue les îles précédentes mais pas si grave… notre voisin de mouillage est un Prout!